La méditation yogique

Depuis de nombreuses années, la pratique de la méditation est en plein essor. Les livres sur le sujet se multiplient et les adeptes sont de plus en plus nombreux.

Tout le monde s’accorde à dire que la méditation a des effets fantastiques sur l’ensemble de l’individu mais, si vous demandez aux pratiquants ou si vous cherchez dans les ouvrages ce qu’est la méditation, vous obtiendrez des définitions très différentes : mystiques, vertueuses, souvent fantaisistes et de plus en plus fréquemment sans aucun rapport avec le yoga lui-même. On trouve du bon, du mauvais et dans tout cela le non-initié a du mal à s’y retrouver.

Il y a deux domaines dans le yoga à aborder avec un maximum de prudence : le premier est le pranayama et le second, la méditation. Ces domaines sont subtils et puissants et donc à utiliser avec précaution. Ils demandent une grande précision et non de vagues définitions.

La méditation est la septième étape du Yoga de Patanjali* qui en comporte huit. C’est une phase très élevée qu’il est impossible d’atteindre sans une préparation adaptée et un minimum de connaissances sur le sujet.

Nous ne pourrons pas voir ici le domaine de la méditation dans son ensemble – il faudrait y consacrer plusieurs ouvrages – nous nous limiterons à éclaircir, les points les plus importants :
- Qu’est-ce que la méditation ?
- À quoi sert-elle ?
- Quels en sont les obstacles ?
- Les effets de la méditation
- Ce qui la favorise
-Comment les yogis l’utilisent

Petit lexique:

  • pranayama : exercices de respiration incluant les rétentions de souffle.
  • Patanjali : grand codificateur qui a élaboré, dans son traité « Aphorismes sur le yoga », la technique de l’ashtanga yoga, ou yoga en huit étapes (appelé communément le raja yoga).
  • dharana : concentration
  • dhyana : méditation
  • samadhi : état de réalisation, aboutissement de la méditation.

Il est difficile d’expliquer la méditation sans aborder, même succinctement, certains concepts de la philosophie du yoga.

Pour l’Occidental, méditer c’est « se soumettre à une intense réflexion », cela implique le mental et ses diverses facultés, l’analyse, la mémoire…
Dans la pratique du yoga, la méditation se situe hors du mental ordinaire, c’est le plan de l’intuition. C’est un plan où l’on perçoit, on « réceptionne » et pour bien recevoir, il faut arrêter « d’émettre », de penser. Il est très difficile de ne pas penser, quelques secondes ça va, plusieurs dizaines de minutes, c’est autre chose. Et si on attend que le mental s’arrête tout seul, on peut attendre longtemps.

Pour stabiliser le mental ordinaire et finalement l’immobiliser, nous fixons notre attention sur quelque chose : un point imaginaire ou concret, une image, une forme géométrique ou un son. On observe, on écoute, mais on ne pense pas, c’est cette fixité tenue plusieurs minutes qui nous fait accéder à la méditation. Voilà pour le principe, mais pour bien comprendre ce qu’est la méditation, il faut connaître son mode de fonctionnement.

La méditation, un sens latent

La méditation fait partie d’un processus en lui-même indissociable : concentration (dharana), méditation (dhyana), et samadhi (voir lexique). C’est le même mouvement qui en s’intensifiant change de nom.

Au cours de la concentration, nous cherchons à maintenir notre attention sur un symbole, un objet, une activité particulière à l’exclusion de toute autre pensée ou image. Mais très rapidement des pensées, des images étrangères arrivent. Le mental passe d’une idée à une autre en permanence, c’est une véritable sarabande qu’il semble impossible d’arrêter ; nous sommes obligés de ramener sans cesse notre attention sur le symbole. De ce fait, nous faisons un effort de volonté et de vigilance pour maintenir notre attention sur le symbole. C’est la concentration.

Au bout de plusieurs minutes, le mental se calme, les images et les pensées sont moins nombreuses, l’attention se maintient plus facilement sur le symbole, la concentration s’intensifie. Mais l’on est toujours conscient de son environnement. Lorsqu’il n’y a plus de pensées, d’images étrangères, plus aucune interférence pendant plusieurs minutes et que la concentration se poursuit sans effort, d’elle-même, dans un flux continu, sans interruption, c’est la méditation.

Toute référence avec l’extérieur cesse, nous ne sommes plus conscients de notre environnement, nous sommes hors de la conscience habituelle, hors du mental, de l’ego et du connu. C’est là où le génie créatif puise son inspiration. Un seul mouvement, une seule pensée ou émotion et la méditation s’arrête.

La concentration, en s’intensifiant, mène à la méditation, elle-même en se prolongeant et en s’amplifiant conduit au samadhi.

On peut comparer la méditation à un voyage d’un point à un autre, la concentration étant le point de départ, le samadhi le point d’arrivée, la méditation le trajet entre les deux. À chaque séance, on se rapproche un peu plus de l’objectif et à chaque fois on en revient avec une connaissance, une perception supérieure relative au symbole utilisé. C’est une connaissance qui vient toute seule, qui se révèle spontanément, comme par imprégnation, par osmose. Au fur et à mesure de la pratique, l’imprégnation est de plus en plus complète, lorsqu’elle est totale, c’est le samadhi. On dit qu’il y a union entre le symbole et le méditant.

Le processus entier, concentration, méditation et samadhi est une fonction, une faculté capable d’appréhender des sujets hors de portée des sens et du mental ordinaire, comme l’infini, l’éternité… La méditation n’est pas un état, ni un but en soi, mais un outil qui se déclenche après plusieurs minutes de concentration et qui conduit au samadhi. Méditer sans atteindre le samadhi, c’est préparer un bon repas sans y goûter. La méditation est en fait un sens latent, qui se développe par la pratique. Elle fait appel à un pouvoir inhérent à l’être humain ressemblant un peu à celui du caméléon : « on devient ce que l’on observe ».

À quoi sert la méditation

La méditation est un pouvoir d’identification fantastique, on peut obtenir beaucoup de choses, certaines inimaginables ; toutes capacités, qualités, connaissances peuvent être acquises et développées par la méditation. Il suffit pour cela que deux conditions soient remplies :

  • Pouvoir y consacrer du temps, car le samadhi ne vient pas en une heure mais demande des mois, voire des années de travail.
  • Synthétiser votre demande sous une forme facile à fixer : un symbole.

Prenons un exemple : supposons que vous désiriez acquérir la force. Comment fixer son attention sur ce concept ? Réfléchir, ce n’est pas la méditation. On utilise un symbole qui représente la force : l’image d’un éléphant, d’un buffle. On visualise un éléphant et l’on fixe son attention sur cette image créée, tout simplement et cela marche. C’est ainsi pour toutes choses : la sérénité, la connaissance… c’est la meilleure façon d’apprendre, la plus facile et la plus complète. Pour les choses simples, le symbole peut être facile à trouver, pour les demandes plus compliquées il vaut mieux se faire aider par un expert. Quoi qu’on veuille, il y a un ou plusieurs symboles déjà existants qui représentent notre demande. Pour toutes choses, il y a un symbole, sauf pour le vide.

Méditer n’est pas facile et trouver le symbole, l’axe profond de notre méditation n’est pas simple non plus. La science des symboles est vaste et complexe, chaque système de yoga a ses techniques de concentration et de méditation (même le hatha yoga), avec des symboles et des objectifs divers. Il faut avoir bien réfléchi avant de s’adonner à la pratique. Quels sont vos objectifs ? Quelle est la portée de tel ou tel symbole ?
Le symbole doit être choisi avec soin, il est d’une importance capitale, car les principaux effets de la méditation en découlent.

En résumé pour utiliser avec efficacité ce sens qu’est la méditation, il faut un objectif et un symbole ou une technique qui permette d’atteindre votre objectif. On peut méditer sur tout ce que l’on veut mais on n’obtient pas la même chose selon le symbole choisi et il n’est pas certain d’atteindre un quelconque « bien-être » car il y a des méditations qui sont loin d’être joyeuses. D’autre part, ce n’est pas parce que vous pratiquez un certain type de méditation que vous faites du yoga.

Les obstacles physiques

  • La fatigue

Lorsque nous sommes fatigués, la méditation ne s’installe pas, c’est l’engourdissement et le sommeil qui arrivent. La méditation requiert disponibilité et vigilance.

  • Changer sans cesse d’objectif

Ce n’est pas en se laissant porter au gré de nos inspirations et humeurs du moment qu’on arrivera à un résultat tangible. Une fois le support choisi, il ne faut pas en changer avant d’avoir obtenu sur ce support le samadhi, après vous pouvez changer.
Si nous reprenons l’analogie, méditation = voyage, changer sans cesse de symbole équivaut à faire quelques mètres dans toutes les directions, sans possibilité d’atteindre jamais la destination du voyage, le samadhi.
On n’atteindra même pas les couches profondes de la méditation et nos connaissances, s’il y en a, seront partielles.

  • La posture

Un problème majeur que rencontre le débutant se situe au niveau de la posture de méditation : il faut une posture stable et confortable de façon à garder une totale immobilité pendant 20 minutes au départ, puis progressivement jusqu’à une heure et plus. Sans une telle posture, la méditation est impossible. Il faut placer le corps de façon à pouvoir l’oublier complètement. C’est pour cela que la posture doit être confortable, ce ne doit pas être une épreuve de volonté. L’immobilité est très importante car le moindre mouvement surtout chez les débutants peut nous ramener du plan « méditatif » au plan de la conscience corporelle, donc de la conscience habituelle et la méditation s’arrête.

L’immobilité volontaire est une véritable épreuve pour un débutant et l’obtention d’une bonne posture peut en être une autre. Le hatha yoga est une aide précieuse pour cela. C’est avec la pratique régulière de la posture assise et par les autres postures du hatha que se règle le problème.
Il y a une alternative à la posture assise de méditation, c’est le yoga nidra. Nous devons toujours rester immobiles mais allongés ce qui est plus facile. Le yoga nidra est beaucoup plus qu’une relaxation, c’est un yoga complet qui permet d’atteindre les plus hautes phases de la méditation et de la conscience pourvu que la séance soit conçue pour.
La méditation est grandement facilitée par cette méthode car elle est dirigée par l’enseignant ainsi le mental du pratiquant ne peut intervenir.

  • Les obstacles mentaux

La méditation se situe hors du mental ordinaire, mais cela ne se passe pas instantanément pour un débutant. Au cours de la concentration, c’est-à-dire de la fixité de l’attention sur le symbole, avant que la méditation s’installe vraiment nous allons traverser les couches du mental. Ce passage est automatique et systématique.
Au cours de la concentration, les premières pensées à apparaître sont des pensées sans suite, pêle-mêle, des morceaux de publicité, de musique, de souvenirs, tout un ensemble d’images et de pensées superficielles et sans intérêt.

Puis lorsque cette couche est dépassée arrivent trois grands thèmes : trois vagues de pensées-images, vont se déverser dans le champ de notre conscience :

  • les pensées-images de sexes
  • les pensées-images d’agressivité, de violences extrêmes
  • les pensées-images de vertus, ou l’on est toujours à son avantage d’une manière ou d’une autre (le nouvel élu, Jésus-Christ superstar, ou le martyr qui sauve le monde).

Ces vagues de pensées, images peuvent êtres tellement importantes qu’il y a de quoi se décourager et se culpabiliser. Il n’y a pas lieu de s’inquiéter, c’est le processus de nettoyage, de purification du mental, tout à fait normal par lequel tout le monde passe. Il dure plus ou moins de temps selon l’attraction ou la répulsion qu’on y porte.

Il ne s’agit pas de bloquer ou d’alimenter ces images, ni de se sentir offusqué ou glorifié, ce n’est que la manifestation du mental. Il faut les laisser passer sans réaction ni dans un sens ni dans un autre. Plus vous résistez, plus vous bloquez ces pensées, plus elles se renforcent, il ne s’agit pas non plus de les alimenter. Ne vous en occupez pas et revenez sans cesse sur votre concentration, elles cesseront faute d’intérêt. Alors le mental aura la disponibilité nécessaire pour que s’installe la méditation.

Beaucoup de pratiquants, de « méditants » vous diront qu’ils ne sont jamais passés par ces couches. C’est parce qu’ils n’ont jamais pratiqué suffisamment et régulièrement pour dépasser la couche de pensées-images superficielles. Si les trois thèmes précédemment évoqués sont communs, l’imagerie, le scénario sont différents pour chacun. Tout le monde voit des choses différentes, qui le concernent. Ce n’est pas pour rien qu’arrivent de telles images, ce sont des informations sur nous-mêmes, nos attaches, nos désirs, notre ego, « la connaissance de soi » passe aussi par là.
Satyananda dit « si ces couches ne se manifestent pas, soit tu es un sage libéré qui s’ignore, soit tes blocages sont plus importants que tu le crois ».

Les obstacles émotionnels

Il existe un obstacle majeur ressenti par tous, si on n’y est pas préparé. Un obstacle incontournable tellement fort qu’il fait fuir de nombreux pratiquants doués : une profonde angoisse ou pire la peur.
Une angoisse ou une peur inexpliquée qui vous tombe dessus brutalement, alors que tout semblait aller si bien. La détente, la disponibilité, la concentration étaient là et soudain le cœur se met à battre très vite, la gorge se serre, le mental s’affole. Ce problème est lié simplement à un phénomène physiologique normal.

Au cours de la concentration et de la méditation, grâce à l’immobilité physique et mentale, la respiration se ralentit considérablement jusqu’à 3 ou 4 respirations par minute, voir moins. Du même coup le rythme cardiaque chute significativement. Or il y a dans le corps un réflexe de survie qui se déclenche lorsque le cœur est anormalement bas. Une forte dose d’adrénaline est envoyée dans l’organisme, et le cœur ainsi que la respiration s’accélèrent violemment, comme dans une sensation de peur.

La grande majorité des personnes ayant vécu cette expérience l’ont assimilé à l’angoisse ou à la peur, mais ce n’est qu’un réflexe que nous apprenons à contrôler grâce à la pratique de la posture dans l’immobilité prolongée et grâce au pranayama.
Les angoisses peuvent être liées à d’autres phénomènes. La conscience durant la méditation se retire des couches superficielles pour entrer dans les couches profondes de l’être (comme la circulation sanguine d’ailleurs) amenant une sensation de perte, d’oubli, de morcellement ou d’isolement.

Comment les yogis utilisent la méditation

Le fort pouvoir d’identification de la méditation est une arme à double tranchant. On pourrait sortir d’une illusion pour entrer dans une autre, se perdre dans une direction à l’opposé de nous-même.
Le yogi utilise la méditation pour obtenir la « connaissance de soi ». Une fois fermement établi dans notre véritable nature, toutes les voies peuvent être explorées sans danger de « se perdre ».
Très schématiquement, voici quelques explications sur la « connaissance de soi » pour mieux comprendre l’étendue et l’objectif de la méditation (selon le yoga).

La conscience est fractionnée en huit parties – une partie non manifestée, sans corps, sans support, hors de la matière et sept parties manifestées, dans des corps, des supports, dans la matière. Selon le Kundalini yoga, il y a sept plans, pour le Raja yoga ces sept plans sont ramenés à cinq.
Ces deux aspects (matière, non-matière) sont les deux faces de notre être – conscience, énergie.
Les sept parties découlent du plan non-manifesté d’abord, puis du plan le plus subtil au plan le plus grossier, à la manière d’une pyramide inversée, la partie haute recelant le plus de conscience, et la pointe le moins.

La conscience, en descendant dans la matière se pare d’éléments, d’attributs, de capacités nécessaires à son incarnation. Plus elle descend, plus les éléments sont denses et nombreux. À cause de ce pouvoir d’identification avec ces éléments, la conscience « s’alourdit » et oublie son centre et son origine.

Nous sommes dans la partie la plus basse, la pointe de la pyramide, là où la conscience est la plus ténue. La connaissance que nous avons de nous-même (corps, sens, mental…) est très limitée.
Selon le yoga, l’homme est le jouet de ses peurs, ses fantasmes, ses frustrations et de son ego. Ces éléments l’attachent et créent son karma et sa souffrance. Tous ces éléments ont une origine commune : l’ignorance de soi, c’est elle qui fait naître la peur dont tout le reste découle.

L’ignorance de soi se détruit uniquement grâce à la connaissance (cinq voies mènent au yoga : la connaissance, la puissance, l’amour, la joie et la beauté). La connaissance de soi est obtenue lorsque la conscience est réunifiée, sur le plan le plus subtil de la matière d’abord, puis sur le plan non-manifesté, cette connaissance permet d’accéder à mukti*, la liberté.

La liberté : ce terme comporte bien plus que le simple fait de s’autoriser à faire n’importe quoi comme nous le verrons. La liberté n’est ni une récompense, ni un dû, personne ne nous donne la liberté, on la prend soi-même, quand on est prêts, c’est une question de connaissance et de maturité de conscience.
Pour atteindre la connaissance de soi et la liberté, le yoga structure la méditation sur trois niveaux selon un ordre chronologique.

La méditation avec support(avec attribut)

C’est la quasi-totalité des méditations proposées avec des buts divers, selon les symboles utilisés.
C’est par ce type de méditation qu’il faut commencer. On utilise un support, un symbole, un mantra, un objet, une forme ou une image. Les grandes étapes du yoga ont déjà leurs symboles, répertoriés et précis ; on ne médite pas sur n’importe quoi.

La méditation avec support concerne les sept parties manifestées de la conscience. De plan en plan, de symbole en symbole, la méditation permet de réunir la conscience jusqu’au plan le plus subtil.
Chaque passage de plan équivaut à un type de samadhi. Chaque samadhi a un effet extraordinaire, mais ce n’est pas le nirvana, celui-ci se situe sur le plan le plus haut, anandanamaya kosha, le corps de félicité, ou le corps causal, à ce niveau on comprend le pourquoi de toutes choses.
Le point culminant de ces méditations est appelé sabija samadhi, c’est la connaissance totale de la première face de notre être.
À noter, tous les systèmes de yoga ne peuvent pas amener une réunification totale de la conscience sur le plan le plus haut. Certains systèmes ne s’occupent que de quelques plans et en laissent volontairement de côté.

La méditation sans supports (sans attribut)

Il y a une grande controverse dans le monde du yoga à propos du symbole. Certains ne voient pas la méditation sans supports, d’autres s’insurgent contre toute représentation, toute idole.
Ces deux points de vue se défendent. Aucun ne peut prétendre à la perfection de la connaissance de soi telle que le yoga la voit.
Il y a un ordre dans le yoga, d’abord on utilise un symbole, un support pour atteindre le plan le plus haut, celui de l’ananda, puis, après, on peut supprimer le symbole et passer à la méditation sans support et pas avant !

Dans cette méditation, nous cherchons à maintenir la vacuité en éliminant tout symbole, c’est un exercice très difficile. La vacuité doit être maintenue plusieurs dizaines de minutes, voire plus d’une heure pour atteindre les premiers niveaux du point culminant : nibija samadhi (il y a plusieurs degrés dans les deux types de samadhi que nous ne pouvons détailler ici).
C’est le saut vers l’inconnu, plus de symbole pour s’identifier, plus rien pour altérer la conscience, même le sens de l’individualité a disparu (ce n’est pas l’ego déjà dépassé, c’est notre Moi, notre vraie personnalité).
Hors de tous symboles ou supports, de toutes manières limitatifs, la conscience peut se voir telle qu’elle est.

On ne peut pas dire grand chose sur cet état, on peut simplement dire ce qu’il n’est pas. Il n’est rien de ce que l’on connaît, ni de ce que l’on peut imaginer, ce n’est pas l’androgyne, ni l’opposé de ce que l’on connaît. Nous ne sommes plus dans la dualité, tous ces domaines appartiennent au monde des formes. Dans cette méditation, il n’y a pas de forme, donc pas de mots, c’est pour cela que le Bouddha l’a appelé « le vide ».
« Le vide » ce n’est pas le néant, il n’y a rien de connu, mais il y a quelque chose ; quand la conscience du Moi, le sens de l’individualité, s’évanouit, apparaît la pure conscience : le purusha ou l’Esprit.

C’est la deuxième face de notre être, le plan originel, nous sommes remontés à la source. Dans ce sens, nous pouvons dire que le yoga est un système involutif, nous sommes revenus au point de départ. C’est pourquoi certains maîtres disent que nous sommes déjà libres, mais que nous n’en sommes pas conscients, devenus ignorants sous le voile de la maya, l’illusion.
L’obtention du nibija samadhi est une expérience bouleversante au sens littéral du terme. Elle parachève la connaissance de soi. Nous sommes libérés des trois gunas :

  • Tamas : la paresse, l’apathie, l’ignorance, l’inconscience
  • Raja : l’envie, la colère, la passion
  • Sattva : la connaissance, la paix, la lumière, la vertu

Maya, l’illusion a définitivement disparu, il n’y a plus de peurs ni pour soi, ni pour les autres, car ce que nous sommes, ils le sont aussi. Il n’y a plus d’ego, plus de karma, plus rien à prouver, ni à réparer, c’est cela la liberté.
Dans ces deux formes de méditations, avec et sans supports, la pratique se fait en posture immobile. L’état qui en découle provient d’une véritable mécanique, d’une technique. Les étapes ont toujours été les mêmes, de tout temps, pour tous les yogis. C’est pour cela qu’on peut parler d’initiation, de transmission de symboles et de techniques, depuis longtemps éprouvées.

La connaissance de soi n’est pas la connaissance de toutes choses et le nibija samadhi n’est pas la fin de la vie, ni de l’aventure yogique. Si le yogi cherche la liberté ce n’est pas pour en jouir dans un état statique, mais pour l’expérimenter et en profiter ici, dans le mouvement de la vie.
Commence alors la méditation active qui est de toute façon la suite logique de l’évolution. On aborde là un domaine encore plus mystérieux que les états précédents, on sait peu de choses sur la méditation active. On se contente de dire quelle est supérieure aux autres méditations. Celui qui en parle le plus est Sri Aurobindo dans « La descente du supra mental dans la matière ». C’est le domaine des grands maîtres yogis réalisés accompagnés de fabuleuses capacités.
La méditation active, c’est dans la vie de tous les jours qu’elle se manifeste dans toutes les situations. Ce n’est pas une technique étiquetée, référencée, c’est un état d’être. Chacun est unique et chacun réalisera sa propre œuvre, son propre chemin unique, inégalé car jamais reproduit. La méditation active, c’est l’art « d’être », en yoga dans l’action, dans le mouvement de la vie.
Elle se produit véritablement et totalement lorsque les deux faces de l’être se sont révélées (le manifesté et le non-manifesté). D’abord dans quelques actions de la journée puis de plus en plus, jusqu’à s’installer 24 heures sur 24.

Il peut nous arriver à tous d’avoir des expériences de méditation active à l’occasion de pratiques intenses qui mobilisent toute notre attention et nos capacités (les sports à risque, les arts, certains travaux…). La concentration peut être telle que nous passons en méditation active, c’est « l’état de grâce » où tout devient facile, évident, avec des résultats stupéfiants.

Mais cet état ne concerne que l’activité du moment, on n’y arrive pas quand on veut, on ne le contrôle pas et surtout cela ne change pas notre être intérieur, l’ego et la peur sont toujours là.
Les deux samadhis sabija et nirbija ont radicalement changé notre conscience, la quantité et la qualité de notre énergie, la connaissance que nous avons de nous-mêmes, des autres et du monde.

Avec la suppression de nos attaches, notre attitude face à nous-mêmes et à la vie est modifiée. Il n’y a plus de différence ou de désaccord entre la parole, la pensée et l’action. Il n’y a plus de référence au passé et au futur, chaque action ne concerne que le présent et chaque acte est l’expression de notre nature unique, de notre liberté, de notre conscience en communion avec le flux de la vie.

Dans les deux autres types de méditation, on s’éveille à soi-même, dans la méditation active on s’éveille à la vie, à la jouissance et au bonheur qui en résulte. La jouissance n’est pas l’ânanda cité plus haut, l’ânanda est un état statique tourné sur soi, la jouissance est un état dynamique tourné vers l’extérieur le monde et les autres.

C’est le but ultime du yogi (un but sans fin) et de chacun de nous d’ailleurs, être en yoga statique et dynamique, plus de différence entre sa vie intérieure et extérieure. C’est pour vivre cette vie supérieure (la méditation active) que le yogi entre-prend tout ce périple. C’est pour vivre que l’on s’incarne.

Voilà très brièvement les différentes phases de la méditation. Chaque partie pourrait et méritrait de plus amples explications. Nous aurions pu aborder les aspects philosophiques sous d’autres formes et d’autres termes, mais nous avons tenté de donner des éléments de réponses aux nombreuses questions que nous avons reçues concernant la méditation, nous espérons que cela apportera les éclaircissements désirés.

Les effets de la méditation

C’est le symbole utilisé qui amène les principaux effets de la méditation. Néanmoins, elle-même produit des effets remarquables sur l’ensemble de l’organisme. Toute concentration, quelle qu’elle soit, stimule ajna (centre de l’équilibre), le chakra au milieu du cerveau. Ce qui apporte équilibre et harmonie intérieure :

  • le mental devient calme et clair,
  • le système nerveux se détend et se régénère,
  • le système hormonal se régule,
  • le rythme cardiaque ralentit,
  • toutes les tensions internes et externes s’effacent ; la récupération qui en résulte est très rapide et supérieure au sommeil.

En général on attribue de grandes vertus à la méditation, mais il y a aussi des effets négatifs peu connus ou reconnus, qui perturbent et ralentissent la progression. Ils sont d’ordre psychologique :

  • « Se prendre au sérieux » : les choses et les personnes qui nous attiraient auparavant deviennent sans intérêt. On a de plus en plus de mal à participer, on se retire de l’action, on s’isole dans sa grandeur. On croyait trouver la liberté, on tombe dans la lourdeur…

Beaucoup de pratiquants, surtout ceux qui ne font que de la méditation, passent par cette phase. Si votre sadhana est régulière et bien équilibrée, cette phase ne dure pas. Sinon, elle s’installe et devient un sérieux obstacle à la réalisation.

  • « La déprime » : l’accès à la méditation par la voie classique (raja yoga) n’est pas bonne pour tout le monde. La prise de conscience peut être telle qu’elle amène après coup une forte déprime, rarement ressentie au cours de la méditation elle-même, mais dans les heures ou les jours qui suivent – ce qui fait qu’elle n’est pas toujours associée à la pratique. Pour ces personnes, il y a d’autres voies possibles : l’énergie, la bhakti…

Ce qui se passe pendant la méditation

La concentration et la méditation sont comme toutes facultés, elles se développent. Au début, pour arriver à méditer quelques minutes, il faut une préparation longue et minutieuse, puis la pratique aidant, la préparation diminue et la durée de la méditation s’allonge.

Lorsque vous méditez sur un symbole visuel, votre visualisation, l’image créée, n’est pas toujours la même selon les séances, parfois claire parfois nébuleuse. Il est difficile d’avoir toujours la même qualité. Avec le travail, la visualisation se stabilise, devient de plus en plus claire, précise et intense.
C’est la même chose si vous méditez sur un mantra, la répétition verbale ou mentale du mantra n’est pas toujours la même, le son change, le rythme aussi. Il faut un peu de temps pour que la technique s’affine et se place correctement.

Pendant la méditation, alors que la visualisation (ou le mantra) est très stable, l’attention ne reste pas toujours fixe sur le symbole (ou la répétition). Parfois, il arrive que nous soyons projetés dans une scène différente, ou que le symbole se modifie tout seul sans aucune intervention de notre part. C’est la méditation qui travaille d’elle-même, elle devient le maître du jeu et nous conduit là où nous devons aller.

Ces expériences passionnantes sont nombreuses et variées avant d’atteindre le samadhi. Si la pratique est régulière, votre symbole ou votre mantra arrivera spontanément, de plus en plus souvent, à n’importe quel moment de votre séance, parfois même au début.
Par la suite, le symbole (ou le mantra) se présente même au cours de la journée ou dans vos rêves. Lorsqu’il arrive comme cela, à n’importe quel moment et qu’il s’impose, vous êtes proche du samadhi.
Sur le parcours méditatif nous allons rencontrer deux phases, source de confusion :

  • Manomani : c’est le vide du contenu mental, rien que du mental. L’espace intérieur est libre de toute pensée, de toute image, mais la conscience de l’ego est toujours là.
  • Shunya : avant l’accès au samadhi, nous tombons dans un trou noir, nous ne sommes plus conscients de nous même, ni du temps, ni de l’espace. Cela peut durer plusieurs dizaines de minutes. Nous en ressortons sans comprendre ce qui s’est passé, sans savoir si nous avons dormi ou pas.

Cette phase appelée shunya n’est pas le sommeil, c’est le samadhi inconscient. Ces deux étapes appartiennent à la classe du sabija samadhi donc de la méditation avec support, à ne pas confondre avec le travail sur le vide de la méditation sans support.

Ce qui favorise la méditation

  • Le choix du symbole

Il y a plusieurs symboles qui représentent notre objectif, cela peut être une image, une forme géométrique, un son… Il est préférable de choisir le symbole qui est le plus facile et le plus agréable pour nous. L’attention aura moins tendance à s’échapper.

  • La préparation

La méditation n’est pas soumise au hasard, elle est dûe à une méthode, une technique, il y a même des méthodologies qui permettent d’atteindre la méditation à chaque fois, encore faut-il pouvoir les pratiquer. La méditation se prépare. Nous sommes soumis à de multiples tensions, le stress, la fatigue, l’illusion et cela empêche la méditation. Il est difficile et fastidieux d’éliminer ces perturbations par la seule pratique de la concentration. C’est une lutte de tous les instants. Il est plus facile et plus rapide d’utiliser les autres aspects du yoga (asanas, pranayamas).

C’est traditionnellement les autres pratiques du yoga, les phases externes – yamas, niyamas, asanas, pranayamas, pratyahara – qui assurent la préparation de la méditation (cela peut être fait par d’autres méthodes).

Une bonne préparation doit amener détente, vigilance et pratyahara : le retrait des sens, c’est-à-dire que les sens ne sont plus tournés sur l’extérieur mais sur l’intérieur. Si l’un de ces trois points fait défaut, la concentration, et a fortiori la méditation, ne peut pas survenir.

Si vous n’êtes pas assez détendu, le reste de tension et de stress ressurgit cycliquement et empêche la méditation. Par la pratique, il est possible d’atteindre des niveaux de détente de plus en plus profond. La détente doit s’établir sur tous les plans : physique, nerveux, émotif, mental et ego.
Le risque d’une grande détente, c’est le sommeil et là, pas de méditation.
Pour maintenir cette détente, il convient de la soutenir par une grande vigilance qui provient de l’énergie dont on dispose, canalisée et maîtrisée. Plus l’énergie est importante plus l’accès à la concentration est facile et tient longtemps.

Il est nécessaire d’avoir une bonne compréhension de la concentration car tout commence par là : c’est la concentration qui mène à la méditation et au samadhi.
Dans notre langage, concentrer implique l’idée de resserrer, regrouper et lorsqu’on nous demande de nous concentrer, souvent, cela aboutit à une restriction, une limitation de nos perceptions, à une tension et à la fatigue ; or c’est tout à fait l’inverse, il faut placer toutes nos perceptions, nos sens, sur l’objet sans tension.

Par exemple, à l’injonction « concentrez-vous sur l’espace devant vos yeux fermés » pour beaucoup cela n’implique que la vue (le regard intérieur), alors qu’il s’agit d’amener tous nos sens sur cet espace – l’écoute, le toucher, l’odorat, le goût – sans aucune tension (il ne s’agit pas de s’épuiser mais de se régénérer) à ce moment-là la concentration est totale et la méditation peut arriver.

 

Références :

Jean Louis et Francis Gianfermi

http://sankara.fr/

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